A Morlaàs, dans les Pyrénées-Atlantiques (64), l’EHPAD APAJH le Bosquet a été créé pour répondre à la demande spécifique des familles ayant un parent soufrant de la maladie d’Alzheimer et des troubles apparentés. Depuis le début du confinement, les équipes se sont adaptées afin de permettre aux familles des 47 résidents de garder le lien avec leurs proches. Anna Cywinska, psychologue, et Sandrine Reillhé, animatrice, nous présentent les différents dispositifs mis en place pour garantir la sécurité des résidents tout en préservant les relations avec les familles.

 

Avec ce public spécifique, atteint de maladies neurodégénératives, comment ça va à l’EHPAD, en cette période de confinement ?

Anna Cywinska : L’EHPAD accompagne toute l’année 47 résidents avec 47 chambres d’accueil permanent, auxquelles s’ajoutent deux places d’accueil temporaire et 8 places d’accueil de jour. Depuis le début de la crise, l’accueil de jour a été arrêté.

La spécificité de l’EHPAD est donc l’accueil de personnes ayant des troubles cognitifs et comportementaux présents dans la maladie d’Alzheimer.

La question du confinement s’est donc particulièrement confrontée à cette double réalité. D’une part les troubles cognitifs (désorientation, pertes mnésique, altération de la concentration…) qui nécessitent des approches stimulantes (activités, maintien de l’autonomie dans les soins) et les troubles comportementaux comme par exemple la déambulation qui permet au résident une décharge motrice nécessaire à son équilibre. La question qui s’est posée à nous était donc quasi kafkaïenne…

Comment avez-vous géré ces situations ?

AC: On a fait du cas par cas, en adaptant les recommandations à ce public, avec le médecin coordonnateur et l’équipe pluridisciplinaire. Nous avons évalué ensemble le bénéfice/risque du confinement en chambre pour chaque résident. Les résidents dits « déambulant » n’ont pas été confinés en chambre, cela n’était pas envisageable sauf à fermer les portes à clés. Pour les autres, le confinement en chambre a été testé. Mais si nous constatons que l’état de santé d’une personne se dégrade, que cela a trop d’impact sur son état psychologique (repli sur soi, apparition d’affects dépressifs, syndrome de glissement, état confusionnel) le confinement est revu en équipe pluridisciplinaire. On peut par exemple proposer à un résident de manger en salle commune et les animatrices peuvent le sortir davantage de sa chambre pour des promenades.

Sandrine Reillhé : Avec le service animation, nous avons réorganisé toutes les activités occupationnelles et thérapeutiques en identifiant des activités individuelles personnalisées à réaliser dans les chambres afin de maintenir une stimulation cognitive. On se focalise le matin sur les résidents qui déambulent, pour éviter qu’ils se rendent dans les chambres des autres résidents. On leur propose des occupations individuelles adaptées. Nous passons aussi dans les chambres des autres résidents en fin de matinée pour s’assurer qu’ils sont bien installés et leur proposer des activités. Nous faisons aussi des passages réguliers dans les chambres pour rappeler les préconisations. Entre 25 et 30 résidents ont pu rester confinés en chambre, car ils sont à un état avancé de la maladie.

AC: Pour ces personnes, les repas sont servis dans les chambres par les aides-soignants et les AMP (aide médico-psychologique). Pour les autres, nous avons aménagé deux espaces communs tout en respectant les mesures de distanciation.

On a fait du cas par cas, en adaptant les recommandations à ce public, avec le médecin coordonnateur et l’équipe pluridisciplinaire. Nous avons évalué ensemble le bénéfice/risque du confinement en chambre pour chaque résident. Les résidents dits « déambulant » n’ont pas été confinés en chambre, cela n’était pas envisageable sauf à fermer les portes à clés. Pour les autres, le confinement en chambre a été testé.

Comment maintenir le lien avec les familles ?

SR: Cela fait 2 mois qu’elles ne peuvent plus rentrer dans l’établissement. Cet éloignement est difficile à gérer pour elles mais dans la majorité les familles font face.

AC : Pour les résidents la séparation est également difficile mais ils n’ont pas la même impression du temps qui passe que nous du fait des troubles cognitifs. Pour les familles c’est extrêmement douloureux d’être séparées. Nous avons donc mis en place plusieurs actions pour garder le lien. Jusqu’à ce jour, j’ai assuré une astreinte quotidienne pour répondre aux appels et à l’inquiétude des proches. Le but était aussi de permettre à mes collègues de se concentrer sur la prise en soin des résidents et l’adaptation de leurs pratiques professionnelles dans l’urgence de la crise sanitaire. Par ailleurs, tous les lundis, la Direction envoie un e-mail d’information aux familles.

SR : Au début, les familles envoyaient beaucoup de courrier que nous laissions 48h dans un SAS. Les courriers étaient ensuite distribués et lus au résident. Nous les affichions ensuite sur les murs de leur chambre.

AC : Le courrier est un outil thérapeutique pour les patients avec Alzheimer parce que cela reste, cela laisse une trace.

SR: Nous prenons aussi des photos de chaque personne que nous envoyons aux proches pour qu’ils aient des nouvelles. Nous avons aussi travaillé avec des écoles : tout au long de l’année, nous faisons des échanges avec des élèves de Première d’un lycée professionnel de Morlaàs. Avec la crise, j’ai sollicité les professeurs pour que les élèves envoient des courriers, des poésies par exemple, aux résidents. Les enfants des soignants ont également fait des dessins, des coloriages.

AC : Nous avons aussi mis en place progressivement les rencontres par  Skype (visio). C’est un très bon moyen de favoriser le lien et de maintenir des rituels pour les résidents qui avaient, avant le confinement, des visites quotidiennes de leur proche. En plus des « visios » programmés, dès qu’un résident exprime le manque de ses proches soit verbalement soit par un comportement inhabituel (angoisse, agitation) nous organisons un appel visio avec sa famille. Avec cet outil de visio-conférence, nous proposons également des réunions hebdomadaires avec les familles et la Direction.

Le 19 avril, Olivier Veran, Ministre de la Santé, a annoncé la reprise des visites dans les EHPAD. Comment avez-vous géré cette annonce ?

AC: Le Ministre de la santé est intervenu le dimanche pour annoncer que, dès le lendemain, les visites pouvaient reprendre et se faire sous la responsabilité de la direction. Nous avions heureusement déjà commencé à y réfléchir et avons pu nous organiser rapidement. Dès le vendredi suivant, nous avons fait poser une cloison dans une salle ouverte à la fois sur l’extérieur et l’intérieur de l’établissement. Les familles peuvent donc arriver de l’extérieur, avec un masque, après avoir pris rendez-vous. Elles doivent au préalable signer une charte et remplir un questionnaire. La protection civile les accueille et procède à la prise de température. Elles entrent ensuite dans la pièce et nous amenons le résident. Ils sont séparés par une cloison vitrée et peuvent se parler via Skype. Nous avons installé une tablette avec des écouteurs d’un côté et un ordinateur avec un casque de l’autre. Les rendez-vous durent 30 minutes maximum mais cela est suffisant.

SR: la pièce est chaleureuse, nous l’avons décorée avec des plantes et avons affiché aux murs les photos de notre vie en confinement. Cela permet aux familles de découvrir ce qui s’est passé pendant ces semaines.

AC : J’avais pas mal d’appréhension par rapport à cette barrière vitrée et je craignais une majoration de l’anxiété des résidents. Au final les résidents comprennent qu’ils ont de la visite, ils reconnaissent quand c’est possible, leur proche. J’ai assisté à des manifestions de joie au moment des retrouvailles. Parfois il y a aussi des pleurs au moment de la séparation, c’est une réalité. Dans ce cas nous assurons ensuite un temps d’accompagnement du résident. Les familles, elles, sont rassurées pour la plupart. C’est très important pour les familles de voir leur proche, de les retrouver et de maintenir le lien physique que ne permet pas Skype.

De plus, la plupart des résidents ont une santé fragile, nous ne sommes donc pas à l’abri d’un décès soudain, lié ou non au Covid. C’est important pour les familles, pour leur deuil à venir, de voir la personne vivante avant un éventuel décès.

Depuis le début de cette crise, notre objectif a toujours été d’être à l’écoute des familles et de pouvoir leurs proposer des dispositifs pour leur donner la parole et maintenir au maximum le lien avec leurs proches.